Vous pensez qu’il n’y a pas grand-chose à dire à propos de la manière d’introduire les personnages dans un scénario ? Détrompez-vous !

Bien que je sois d’accord que les films sont avant tout une « réalité externe » et que, par conséquent, l’action et le dialogue sont les principaux moyens par lesquels les personnages expriment qui ils sont et comment ils naviguent à travers les scènes, la réalité est la suivante:

Les scénaristes « commentent » les personnages pour exprimer aux lecteurs ce qu’ils jugent important, intéressant et/ou divertissant au sujet de la personnalité de leur personnage. 

Voici comment William Goldman présente Butch Cassidy :

“Butch Cassidy and the Sundance Kid” (1969)

Ici, Goldman utilise une licence romanesque pour mettre en lumière une partie de la personnalité fondamentale de ce personnage clé. « Difficile à cerner… cheveux bruns… la plupart des gens… se souviendraient de lui comme un blond… un meneur d’hommes… il serait incapable de dire pourquoi. »

La seule description physique du personnage est la suivante : il a trente-cinq ans et il a les cheveux bruns. Tout le reste dans cette introduction parle de la personnalité de Butch Cassidy.

Nous sommes en 1969. Mais je peux citer des exemples comme celui-ci qui remontent aux années 50. Et c’est une pratique qui se poursuit encore aujourd’hui.

En fait, j’irais même jusqu’à dire que dans le cinéma actuel, les gens qui lisent des scénarios s’attendent à ce que les scénaristes fournissent quelque chose pour décrire l’essence de la composition psychologique d’un personnage lorsqu’on l’introduit dans l’histoire.

Ce n’est que la pointe de l’iceberg sur la façon dont les scénaristes peuvent présenter les personnages. Il existe plusieurs approches narratives que nous pouvons utiliser pour aider quelqu’un qui lit un texte à bien comprendre les différents personnages et à entrer dans l’histoire. 

Éditorialisation et Voix Narrative

5, 10, 15, 20, 25. Non, vous ne vous êtes pas inscrit par erreur à un cours de math en ligne. Il s’agit plutôt du nombre potentiel de personnages dans un scénario de long métrage. Certaines histoires peuvent n’en avoir que cinq, voire moins. Plus fréquemment, les scripts ont 10, 15, 20, 25 personnages ou plus.

Considérez que vous écrivez un script qui a 25 personnages. Vous pensez à chacune de leurs backstories, comme il se doit. Vous réfléchissez à leur personnalité et à la façon dont ils parlent, comme vous le devriez également. Vous considérez leurs fonctions narratives respectives, leur apparence, leurs interactions, la façon dont ils s’opposent ou s’entraident, comment ils vivent, s’aiment ou meurent. Tout ce qui est bon et nécessaire au développement du personnage.

Mais voici quelque chose à quoi beaucoup de scénaristes ne pensent pas assez ou pas du tout: si en fin de compte quelqu’un va lire votre scénario, comment vont-ils suivre 25 personnages, jongler avec tous ces nouveaux noms, types de personnalités et objectifs ?

Même si le script a 15 ou seulement 10 personnages, cela fait beaucoup d’individus que vous demandez à un lecteur d’assimiler :

– Ils doivent faire la distinction entre chacun d’eux.

– Ils doivent se faire une idée de chacun d’entre eux.

– Ils doivent se souvenir de chacun d’eux.

Un scénariste paresseux peut penser : « Pas de problème. Après quelques pages passées avec tel ou tel personnage, le lecteur en aura une idée. »

Ce à quoi je répondrais, « Vraiment. C’est ce que vous voulez? Quelqu’un qui lit votre script, forcé de faire des allers-retours entre les pages pour confirmer précisément qui est ce personnage? Ou dans le pire des cas : ils voient un personnage dont le nom n’est pas en majuscule, mais ils ne se souviennent pas qu’il a été présenté. »

Ai-je rencontré ce type ? Si oui, où ? Ou s’agit-il de l’introduction du personnage et le scénariste a oublié de mettre leur nom en majuscule ? Je suis perdu !

C’est alors que la frustration s’installe. C’est dans cette humeur qu’un scénariste veut qu’un producteur, un financier ou n’importe quel lecteur soient dans les quinze premières pages de son scénario ?

Non, ce que vous voulez, c’est attirer le lecteur dans l’univers de votre histoire le plus rapidement et le plus habilement possible, puis le garder avec vous… pas en faisant des va-et-vient entre les pages pour confirmer qui est ce personnage, plutôt en l’attirant directement dans le script, avec une compréhension précise de chaque personnage basée sur la manière dont ils ont été présentés.

Forte première impression

Chaque fois que vous présentez un personnage, vous faites face à un croisement. L’un des chemins est chargé de bosses et de barrages. Par imprudence, le scénariste crée une course à obstacles dans l’esprit du lecteur, un monceau de personnages qui semblent se mêler les uns aux autres et se chevaucher. L’autre chemin est une ligne droite à travers le récit, marquée par des introductions de personnages claires, imaginatives, informatives et divertissantes qui présentent une liste précise des personnages de l’histoire, chacun distinct, chacun mémorable.

L’une des clés est de faire une solide première impression. Car en fixant une image claire d’un personnage dans l’esprit d’un lecteur, non seulement vous aidez à distinguer chacun des acteurs de l’histoire, mais vous lui donnez aussi une lunette à travers laquelle il pourra interpréter ces personnages.

Voici un exemple d’une première impression forte dans Moneyball (Le Stratège), scénario de deux des meilleurs scénaristes vivants, Steve Zaillian et Aaron Sorkin :

Pourquoi cette introduction du protagoniste de l’histoire, Billy Beane, fait-elle une première impression aussi forte ? Il y a de nombreuses raisons.

Le scénariste « éditorialise » son personnage

Dans environ 90 % des descriptions de scénarios, notre travail consiste à transmettre un sens à la fois épuré, resserré et évocateur de la scène, du personnage et de l’action. Contrairement à un roman ou à une nouvelle, un scénariste n’a pas le temps de s’amuser, nous nous mettons au travail pour chaque scène et nous les examinons avec diligence.

Cependant, lorsque nous présentons un personnage, c’est ici que nous pouvons un peu nous relâcher. En effet, les introductions sont l’une des rares fois dans un scénario où l’on peut faire une description de scène dans une approche plus romanesque. C’est-à-dire que nous prenons du recul par rapport au moment présent et commentons le personnage. En d’autres termes, nous faisons de l' »éditorialisation ».

Nous devons rester économe et judicieux sur ce point – après tout, un scénario n’est pas un roman. Mais le fait est que nous avons cette option, ce droit. Pourquoi ? C’est justement à cause de la nécessité de solidement ancrer le personnage dans l’esprit du lecteur.

Pensez à la description de Billy Beane et de son environnement [voir Partie 1], à la façon dont les scénaristes éditorialisent le personnage dans cette introduction :

– « un purgatoire désolé et humide »

– « L’intensité des péchés expiatoires d’une âme »

– « a suspendu son entraînement – ou sa pénitence »

– « comme s’il essayait d’évacuer les impuretés de l’acte ou de la pensée »

Il ne s’agit pas tant d’une description de scène que d’une description d’âme, ouvrant une fenêtre directement sur le cœur du personnage de Billy Beane. On peut en déduire que Beane a vécu des expériences troublantes dans son passé qui se projettent comme une ombre sur lui. Tout cela, combiné à ses actions particulières – Pourquoi continue-t-il d’éteindre la radio ? Pourquoi ne suit-il pas un match si important ? – nous amène à croire d’emblée que Beane est une personne profondément en conflit. L’éditorialisation des scénaristes donne une tournure presque théologique à son introduction pour suggérer le regret, voire la honte sur tout un aspect mystérieux de son passé qui le hante.

C’est le pouvoir de l’éditorialisation : cela nous permet de créer un sens, un ton et un sentiment spécifiques pour un personnage lorsque nous le présentons, et en tant que tel ça aide à le définir dans l’esprit du lecteur.

Voix narrative

Lorsque nous éditorialisons, nous ne devrions pas nous en tenir à une perspective générique, mais plutôt à une perspective directement liée au genre de l’histoire. Cela nous amène à ce que j’appelle la Voix Narrative.

J’ai écrit un article sur le sujet ICI.

En voici un extrait :

La Voix Narrative est la sensibilité narrative que vous apportez à votre scénario à travers votre style d’écriture. Pensez à la Voix Narrative comme à un personnage. Bien que « silencieux », il est présent dans chaque scène, chaque ligne, chaque mot que vous écrivez. Au fur et à mesure que vous développez et affinez chaque personnage « visible » de votre scénario (Protagoniste, Némésis, Némésis, Attractor, Mentor, Trickster), vous devez également découvrir qu’elle est votre Voix Narrative, à quoi elle ressemble et comment elle va jouer un rôle actif dans la narration de votre histoire.

Une formule astucieuse pour comprendre ce concept : Voix narrative = Genre + Style

En d’autres termes, la sensibilité que nous apportons à l’écriture telle qu’elle se reflète dans le style d’un scénario doit correspondre au genre de l’histoire. Moneyball est un drame tendu. Cela se reflète dans le langage utilisé par les scénaristes dans la description des scènes. Si vous consultez mon article, vous verrez ma comparaison des Voix Narratives dans The Matrix, Ferris Bueller’s Day Off et Chinatown, chacun avec un style différent correspondant à leur genre respectif.

Par conséquent, chaque fois que nous éditorialisons un personnage – et en particulier lorsque nous le présentons – il est important d’être attentif à notre voix narrative, en apportant cette sensibilité narrative à ce que nous disons sur un personnage et même comment nous le disons.

Une comparaison supplémentaire : Mettez en contraste le style et le ton de l’introduction de Billy Beane dans Moneyball avec la façon dont Butch Cassidy est introduit dans l’histoire dans Butch Cassidy and the Sundance Kid (écrit par William Goldman) :

Les deux films sont des drames, les deux films ont de bonnes doses d’humour, mais il y a une différence : Avec Butch Cassidy, le style est plus « folk » et convivial, le ton plus léger et plus drôle. C’est la voix narrative du scénario à l’œuvre, cela se reflète dans la façon dont Goldman présente l’un des protagonistes de l’histoire, et cela se retrouve dans le film au final.

Personnage et essence fondamentale

Nous avons commencé cette exploration des introductions de personnages en regardant le sujet du point de vue du lecteur, comment, avec chaque scénario qu’il ouvre, il découvre une distribution de personnages jusqu’ici inconnue – noms étranges, voix, personnalités. L’expérience du lecteur est exacerbée par le fait que la majorité des personnages d’un scénario sont introduits dans les trente premières pages, ce qui signifie qu’il s’agit d’un personnage… après un autre… après un autre… après un autre, le tout dans un délai comprimé vertigineux.

Puis nous sommes passés au scénariste. « Faire une forte impression », « éditorialiser », faire entendre sa Voix – autant de préoccupations et d’outils du métier pour celui ou celle qui rédige une histoire. Cela représente une première étape pour comprendre comment gérer une myriade d’introductions de personnages afin que ce qui se trouve sur la page ait un impact positif et mémorable sur le lecteur, lui permettant de « trier » les différents personnages qu’il rencontre.

Notre troisième point met l’accent sur le personnage. Car, comment un scénariste peut-il savoir quoi dire dans une introduction s’il ne comprend pas le personnage qu’il introduit dans l’univers de l’histoire ?

Ce qui soulève la question inévitable : Que devons-nous savoir au sujet d’un personnage pour nous aider à créer une introduction efficace ?

Dernièrement, j’ai enseigné l’écriture de scénarios à un groupe énergique d’étudiants. Voici une sélection aléatoire d’introductions de personnages dans leurs scripts avant que je ne leur apprenne une meilleure façon d’aborder cette tâche :

Chaque introduction est composée d’une description physique, suivie d’une scène de « têtes qui parlent » [deux personnages ou plus qui échangent des dialogues]. Qu’apprend-on vraiment sur les personnages ? Qu’est-ce qu’un lecteur peut emporter avec lui à partir de ces descriptions pour identifier le personnage comme étant unique ? Qu’en est-il du degré de « divertissement » de ces présentations ?

La question fondamentale ici est : Les auteurs ont décrit les aspects externes de chaque personnage, certes. Mais ce que ce qui aide un lecteur à apprendre quelque chose de significatif, à saisir quelque chose d’unique et à trouver quelque chose de « divertissant » réside habituellement à l’intérieur du personnage, ce que je nomme son essence fondamentale.

L’essence fondamentale

L’essence fondamentale est l’aspect essentiel de l’être d’un personnage qui définit qui il est. C’est une partie fondamentale de leur personnalité, un résumé en miniature de ce qui se trouve au centre de leur psyché. Et il ne peut être trouvé qu’à l’intérieur du personnage, de son Monde Intérieur.

N’importe quel scénariste qui s’est engagé dans ne serait-ce qu’une petite mesure de développement de personnage aura certainement travaillé avec ce genre de questions: Qu’est-ce qui motive ce personnage ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? De quoi ont-ils besoin ? De quoi ont-ils le plus peur ? Qu’est-ce qui est à la base de ce qu’ils sont ? Nous prenons toutes ces questions et les adressons aux personnages principaux de notre histoire, et si nous continuons à les approfondir, nous découvrons leur essence même.

Que pouvons-nous faire lorsque nous déterminons l’essence d’un personnage ? Nous faisons un brainstorming pour présenter cette idée d’une manière spécifique et divertissante lorsque nous présentons le personnage.

Un bon exemple est le scénario Shakespeare in Love [écrit par Tom Stoppard et Marc Norman]. Le protagoniste est Will Shakespeare. Quelle est son essence fondamentale ? C’est un individu créatif qui n’a pas encore trouvé sa muse, mais qui a passé la majeure partie de sa vie adulte à perdre son temps dans une série de liaisons insignifiantes et de projets d’écriture peu sérieux pour avoir plus de femmes et de vins à payer. En d’autres termes, il est perdu.

Comment les scénaristes le présentent-ils ? À la page 4 du texte, une fois que l’environnement physique de Will a été établi, ils écrivent :

Ici, nous avons une distillation simple de l’essence du Protagoniste, un écrivain bloqué qui gratte des noms à la recherche de sa véritable identité, une âme perdue.

Dans Le discours d’un roi [écrit par David Seidler], le protagoniste est le duc d’York, deuxième fils du roi George V, qui régnait à l’époque sur un quart de la population mondiale. Bertie, comme on appelle le duc, est un homme bon et gentil, décrit dans le scénario comme « beau, sensible ». Trop sensible en fin de compte, un individu très réservé, forcé d’être sous les feux de la rampe, attiré vers la responsabilité monarchique, tout en se rebellant contre cette possibilité avec chaque centimètre de son être.

Comment le scénariste le présente-t-il ? A l’occasion de l’émission radiophonique inaugurale de Bertie au stade de Wembley devant des dizaines de milliers de sujets britanniques fidèles, sa première sortie pour ainsi dire [P. 3] :

Une distillation mémorable de l’essence même du Protagoniste : l’homme qui sera Roi… mais qui ne veut pas être Roi, symbolisé avec puissance par son bégaiement et son incapacité à dire les mots nécessaires pour celui qui porte la couronne.

Dans le scénario Unforgiven (Impitoyable) écrit par David Webb Peoples, réalisé par Clint Eastwood, le protagoniste est Bill Munny. Un ancien artilleur du Vieux-Ouest à la retraite qui essaie de s’en sortir en tant qu’agriculteur. Le contraste entre ces deux aspects de sa personnalité transmet une grande partie de son essence fondamentale.

Comment le scénariste le présente-t-il ? Ici, à la page 9 du scénario :

Tout dans ce moment d’introduction suggère que Munny n’est pas qu’un fermier, mais qu’au fond il a toujours l’essence d’un soldat, une vérité que le reste de l’histoire prouvera.

Déterminer l’essence fondamentale d’un personnage aide non seulement à construire une introduction efficace, mais donne aussi à l’auteur une compréhension claire de cet individu et de sa fonction particulière par rapport au récit global.  Qu’il s’agisse de Will Shakespeare, un écrivain qui n’a pas encore trouvé son identité créative unique, de Bertie, une âme timide poussée dans un rôle public, ou de Bill Munny, un tireur d’élite qui attend d’être rappelé à l’action, ces vignettes constituent une pierre de touche thématique pour le scénariste où il pourra revenir souvent dans son processus d’écriture – pour se rappeler le cœur du personnage et orienter son histoire de façon à le faire évoluer.

L’essence même d’un personnage est essentielle à la compréhension d’un personnage et à l’établissement de son introduction.

Je vous encourage à creuser vos propres personnages.  Prenons l’exemple du Protagoniste.  Posez-vous ces questions d’en haut :  Qu’est-ce qui motive ce personnage ?  Qu’est-ce qu’ils veulent ?  De quoi ont-ils besoin ?  De quoi ont-ils le plus peur ?  Qu’est-ce qui est à la base de ce qu’ils sont ?  Voyez si vous pouvez identifier l’essence même de ce personnage, puis faites un remue-méninges pour trouver une façon intéressante de le suggérer à un lecteur dans une introduction.

À vos personnages !

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.