La Harvard Business Review a publié une série d’articles intéressants qui s’intitule : Pourquoi votre cerveau aime raconter de bonnes histoires.

Voyons ce que nous pouvons tirer de ces articles pour notre pratique du scénario.

Deux extraits intéressants. Voici le premier :

« En tant que créatures sociales, nous dépendons des autres pour notre survie et notre bonheur. Il y a dix ans, nous avons mis en évidence en laboratoire que la substance neurochimique appelée ocytocine est un signal dans le cerveau qui indique qu’ « il est sans danger de se rapprocher des autres « . L’ocytocine est produite lorsqu’on nous fait confiance ou qu’on nous montre de la gentillesse, et elle motive la coopération avec les autres. Elle le fait en renforçant le sens de l’empathie, notre capacité d’éprouver les émotions des autres. L’empathie est importante pour les créatures sociales parce qu’elle nous permet de comprendre comment les autres sont susceptibles de réagir à une situation, y compris ceux avec qui nous travaillons. »

Pendant des années, j’ai utilisé le terme identification du spectateur. Votre histoire, en particulier celle de votre protagoniste, doit trouver un écho chez le lecteur. Cela se résume à créer un sentiment dempathie de la part du lecteur avec au moins un de vos personnages centraux. Si vous faites cela, vous réduisez la distance entre le lecteur et l’univers de l’histoire que vous créez. En effet, le lecteur peut commencer à vivre par procuration les expériences du protagoniste, le degré d’empathie est si fort qu’il attire le lecteur dans l’histoire.

Voici le deuxième extrait :

« Dans des études ultérieures, nous avons pu approfondir notre compréhension des raisons pour lesquelles les histoires motivent la coopération volontaire. (Cette recherche a reçu un coup de pouce lorsque, grâce à un financement du département de la Défense, nous avons mis au point des moyens pour mesurer la libération d’ocytocine de façon non invasive jusqu’à mille occurrences par seconde). Nous avons découvert que, pour motiver le désir d’aider les autres, une histoire doit d’abord soutenir l’attention – une ressource rare dans le cerveau – en développant une tension pendant la narration. Si l’histoire est capable de créer cette tension, il est probable que les lecteurs/spectateurs attentifs parviendront à partager les émotions des personnages qu’elle contient, et qu’après, ils continueront à imiter les sentiments et les comportements des personnages qu’elle évoque. Cela explique le sentiment de « dominance » que vous avez après que James Bond ait sauvé le monde, et votre motivation à vous entraîner après avoir vu Rocky à  l’œuvre. »

Il ne suffit pas de créer de l’empathie. L’empathie ne se traduit pas nécessairement par une histoire convaincante. Pour ce faire, nous devons élaborer un récit qui implique un certain sentiment de tension.

Vous avez entendu le dicton « On ne peut pas avoir de bons drames sans conflit » ? C’est la même idée ici. Il doit y avoir des problèmes à résoudre et des obstacles à surmonter pour qu’un récit crée un sentiment de tension chez un lecteur. Bien sûr, la présence de cette tension présuppose une résolution qui, à son tour, procurera un sentiment de satisfaction émotionnelle.

Ce qui est intrigant ici, c’est que pendant que nous, scénaristes, réfléchissons aux émotions et à la psychologie, une grande partie de ces émotions se résume finalement à une réaction chimique dans le cerveau. Le cerveau aime raconter de bonnes histoires parce que cela éveille des émotions sous l’influence du meilleur ami du scénariste : l’Ocytocine !

Deuxième réflexion sur le lien entre cerveau et histoire. Ce n’est pas souvent qu’on entend Budweiser et Shakespeare dans la même phrase. Mais selon une autre recherche de l’Université Johns Hopkins, l’application habile des techniques classiques de narration a une place prééminente dans les publicités du Super Bowl de la compagnie de bière… Budweiser.

Voici l’article ICI.

Dans « Puppy Love », un chiot parfaitement adorable devient un ami inséparable d’un cheval. Sortis en douce de son enclos, le chiot et le cheval « parlent » dans les écuries et cavalent dans une ferme idyllique – jusqu’à ce que quelqu’un vienne adopter le chien. Le chiot en détresse gémit et place ses pattes contre la vitre de la voiture pour l’emmener dans sa nouvelle maison. Tout semble perdu jusqu’à ce que le cheval rassemble les autres chevaux pour empêcher le véhicule de partir. Réunis, ils s’ébattent dans les pâturages des chevaux et, nous supposons, vivent heureux pour toujours.

Regardez la publicité ICI.

Des millions de vues sur YouTube, donc clairement quelque chose à l’œuvre ici en termes d’histoire. Mais quoi ?

Le chercheur de Johns Hopkins a prédit que le spot de Budweiser serait l’un des plus vus après une analyse de deux ans de 108 publicités du Super Bowl. Dans un article qui fut publié dans le numéro d’automne 2014 du Journal of Marketing Theory and Practice, le chercheur Quesenberry et son partenaire de recherche Michael Coolsen ont mis l’accent sur l’utilisation par les marques de stratégies spécifiques pour vendre, comme l’utilisation d’animaux adorables ou de célébrités sexy. Mais ils ont aussi codifié les publicités en matière de développement de l’intrigue.

Ils ont constaté que, peu importe le contenu de l’annonce, c’est en grande partie la structure de ce contenu qui prédisait son succès. « Les gens sont attirés par les histoires, me dit Quesenberry, parce que nous sommes des créatures sociales et que nous nous relions à d’autres personnes. »

Ce n’est pas une surprise. Nous, les humains, communiquons à travers les histoires depuis plus de 20 000 ans à l’époque où nos écrans plats étaient les murs des grottes.

« Surtout dans le Super Bowl, ces publicités de 30 secondes sont presque comme des mini films « , dit-il. Quesenberry a mis en lumière que les publicités qui racontaient une histoire complète en utilisant la Pyramide de Freytag – la structure dramatique classique qui remonte à Aristote – étaient les plus populaires.

Shakespeare utilisait cette structure, arrangeant ses pièces en cinq actes avec une exposition, une action ascendante, un point culminant, une action descendante et un dénouement. Les histoires des spots de Budweiser utilisent également ces « cinq actes » avec beaucoup d’efficacité. Plus il y avait d’actes dans chaque version de l’annonce, meilleure était sa performance.

Ce type de récit évoque une forte réponse neurologique. Les recherches du neuro-économiste Paul Zak indiquent que notre cerveau produit l’hormone du stress, le cortisol, pendant les moments de tension dans une histoire, ce qui nous permet de nous concentrer, tandis que le facteur « mignon » des animaux libère l’ocytocine, qui favorise le bien-être et qui stimule les liens et la compassion. D’autres recherches neurologiques nous disent qu’une fin heureuse à une histoire déclenche une réaction dans le système limbique, le centre de récompense de notre cerveau, et libère de la dopamine, ce qui nous rend plus confiants et optimistes.

Nous pouvons maintenant ajouter le cortisol et la dopamine à l’ocytocine, soit toutes les réactions chimiques dans notre cerveau liées à la narration d’une histoire. Mais pour y arriver par le biais d’une histoire, nous avons aussi la Pyramide de Freytag.

En y regardant de plus près, je vois trois mouvements avec des réactions chimiques simultanées :

1/ Empathie [Ocytocine] : Établir un point de résonance émotionnelle avec les personnages.

2/ Tension [Cortisol] : Créer un dilemme qui suscite la désunion.

3/ Relâchement [Dopamine] : Résoudre le dilemme qui conduit à l’unité.

Encore une autre façon de voir la structure en trois actes.

Bien sûr, cette approche suppose que nous voulons écrire une histoire qui suscitera un sentiment positif chez les spectateurs. De toute évidence, il y a des histoires qui ne le font pas. Ce qui, bien sûr, est très bien.

Cependant, il y a une raison pour laquelle une grande majorité des films hollywoodiens grand public ont des fins heureuses. En fait, deux raisons : M. Dopamine et Mme Ocytocine !

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.