Nous connaissons tous la sagesse conventionnelle qui est que les flashbacks et la narration en voix off ne sont pas nos amis dans les scénarios. Rappelez-vous, le personnage de Robert McKee gourou du scénario joué par Brian Cox dans le film Adaptation le dit ainsi : « Que Dieu vous vienne en aide ! C’est une écriture bâclée et flasque. N’importe quel idiot peut écrire une narration en voix off pour expliquer les pensées d’un personnage. »

De même, Michael Hauge, autre gourou de l’écriture, exprime l’opinion négative qu’ont beaucoup de gens concernant les flashbacks dans une réponse à l’une de ses chroniques ICI.

Et pourtant, jetez un coup d’œil à cette liste de films (leur classement IMDB entre parenthèses, à partir de janvier 2014) :

FLASHBACKS

The Godfather [#2]

Inception [#14]

The Silence of the Lambs [#24]

Casablanca [#25]

The Usual Suspects [#26]

Memento [#33]

Gladiator [#63]

Eternal Sunshine of the Spotless Mind [#76]

Rashomon [#91]

NARRATION EN VOIX OFF

Fight Club [#10]

Goodfellas [#15]

Apocalypse Now [#35]

A Clockwork Orange [#64]

To Kill a Mockingbird [#70]

The Apartment [#98]

NARRATION EN VOIX OFF ET FLASHBACKS

The Shawshank Redemption [#1]

Forrest Gump [#18]

It’s a Wonderful Life [#30]

Sunset Blvd. [#32]

Citizen Kane [#46]

American Beauty [#54]

Double Indemnity [#57]

J’ai juste parcouru les 100 meilleurs films d’IMDB, et j’en ai probablement manqué quelques-uns. Même si c’était le cas, c’est déjà une liste de plus de 20 films notables qui ont utilisé l’un ou l’autre de ces procédés, ou les deux, prétendument indignes.

J’en déduis que le problème ne réside pas dans les dispositifs narratifs eux-mêmes, mais dans la façon dont les auteurs les utilisent.

Je pense que si on demandait leur avis aux gens qui lisent des scénarios de façon professionnelle, ils lèveraient les yeux et s’attraperaient le ventre à la simple mention de la narration en voix off et flashback. Pourquoi ? Parce qu’ils les ont vus trop souvent mal utilisés. Et c’est vrai. Je l’ai vu de mes propres yeux aussi. (Cf. le cliché du film qui commence par la voix off : « Moi, c’est nom du perso…! »)

Pourtant, le fait demeure que certains des plus grands films de tous les temps utilisent ces dispositifs narratifs. Est-ce que cela signifie, parce que beaucoup d’écrivains débutants utilisent mal la narration en voix off ou les flashbacks, qu’on ne doit pas les utiliser dans nos histoires, surtout si c’est ce que l’histoire demande absolument?

Ce serait malheureux. Tragique même. Parce qu’un flash-back peut être un excellent procédé narratif – s’il est bien utilisé ! À ce propos, voici trois exemples de films dont nous allons discuter plus bas, qui incorporent des flashbacks à un grand profit :

– Casablanca

– The Social Network

– Des gens ordinaires

En voici trois autres tous nommés aux Oscars pour le Meilleur film en 2014 : American Hustle, Her et The Wolf of Wall Street.

C’est un fait : Les flashbacks sont bien là et ils ne vont pas disparaître !

Oui, nous sommes bien avisés de garder à l’esprit le préjugé classique des lecteurs à l’encontre de l’utilisation de flashbacks dans un scénario de vente, mais je vous assure qu’il n’y a aucune règle les interdisant. Adoptez ce mantra : Des outils, pas des règles !

– Si les flashbacks sont essentiels pour raconter votre histoire…

– Si vous pouvez les utiliser d’une manière fraîche et unique…

– Si vous pouvez créer des moments inoubliables avec eux…

– S’ils vous aident à faire en sorte que votre histoire soit mieux racontée…

Utilisez-les ! Mais assurez-vous de savoir ce que vous faites.

Comment ? Lisez des scénarios. Des dizaines et des dizaines de scénarios qui utilisent des flashbacks. Quand ils fonctionnent, déterminez pourquoi. Si ce n’est pas le cas, trouvez pourquoi. Et regardez des films. C’est la même chose. Ce qui fonctionne. Ce qui ne marche pas.

Sachez ceci : Si vous utilisez les flashbacks d’une manière paresseuse, simplement pour fournir de l’exposition, un dialogue plat, sans intérêt visuel, pour une scène clichée au final… vous ne ferez pas de bien à votre scénario et vous ne vous ferez aucune faveur à vous-mêmes. Un flash-back est un outil. Utilisez-le bien et il vous aidera à construire une histoire puissante.

Voici trois courtes analyses pour illustrer ce conseil :

Casablanca

Le célèbre film de 1942, scénario de Julius Epstein & Philip Epstein et Howard Koch, pièce de Murray Burnett et Joan Allison.

Mise en place : Ilsa Lund est réapparu dans la vie de Rick. Il s’enivre et se remémore les événements clés de son passé qui lui ont brisé le cœur, une séquence connue sous le nom de montage parisien. Voici le détail des scènes en flash-back :

– L’Arc de Triomphe

– Rick et Ilsa conduisant une voiture

– Un bateau d’excursion sur la Seine

– L’appartement de Rick à Paris

– Un café parisien

– Des images d’actualités : Occupation allemande de la France

– Un café parisien : Les Allemands entreront bientôt dans la ville

– La Belle Aurore : Boire du champagne, l’humeur d’Ilsa n’est pas réglée, on se retrouve à la gare.

– Gare de Lyon : Sous la pluie, Rick reçoit un mot d’Ilsa qui dit : « Richard, je ne peux ni venir avec toi ni te revoir. Vous ne devez pas demander pourquoi. Crois juste que je t’aime. Va, ma chérie, et que Dieu te bénisse. Ilsa »

– Rick, assommé, jette la lettre sur le côté pendant que le train s’éloigne.

Voici un extrait :

La séquence entière fait 8 pages dans le scénario. Tous ces flashbacks. Pourquoi cela fonctionne-t-il ? Voici deux raisons :

– La séquence a un début, un milieu et une fin, c’est un montage bien structuré.

– Plus important encore, la séquence répond à une question critique : Que s’est-il passé entre Rick et Ilsa ?

Donc, si votre histoire a besoin d’une longue séquence de flashback, assurez-vous qu’elle a une structure solide et qu’elle remplit une fonction nécessaire et importante dans l’histoire. Vous êtes probablement dans le peloton de tête si vous travaillez avec un mystère où des réponses sont révélées.

D’accord, j’entends certains d’entre vous : « Casablanca est un vieux film. Peut-être que les flashbacks fonctionnaient à l’époque, mais pas dans les films contemporains. »

The Social Network

Scénario d’Aaron Sorkin, d’après un livre de Ben Mezrich.

Pour moi, la décision la plus intelligente que Sorkin a prise au sujet de The Social Network, en plus d’avoir choisi d’entreprendre ce projet, a été d’utiliser la double séquence de déposition comme un dispositif narratif pour sauter du présent au passé, du passé au présent.

Sorkin veut que le lecteur soit aussi conscient que possible de son choix, une fois qu’il a établi la deuxième des deux salles de déposition, il dit dans la description de scène [P. 27] :

On fera beaucoup de va-et-vient entre les deux salles de déposition.

Pour info, la partie « back » est constituée de flashbacks.

Le script fait un travail magistral avec ces sauts dans le temps en utilisant des lignes de dialogue, des pré-lap, des indices audio et visuels pour servir de points de contact à chaque transition.

La structure narrative de The Social Network est remarquablement similaire à celle de Citizen Kane, le témoignage dans la salle de déposition ayant la même fonction que Thompson, le journaliste, qui traque les divers témoins du passé de Kane, la chronologie narrative passée se déroulant de façon linéaire tout en utilisant les entrevues pour fournir la base des ellipses temporelles.

Il y a aussi un peu de la dynamique de Rashomon ici, où il y a le témoignage qui représente une « vérité », par opposition à ce que nous voyons dans le passé, qui représente parfois une autre « vérité ».

Ce choix unique – utiliser la double déposition comme moyen de gérer les sauts temporels et le récit – est un choix intelligent qui permet à Sorkin de transformer les détails d’un biopic en un drame fascinant et rapide. Et ce dispositif dépend entièrement des flashbacks.

À retenir : Si vous avez une histoire qui a un mystère qui se déroule dans le passé et qui peut être mieux servie par l’utilisation de flashbacks multiples… et bien, vous avez Citizen Kane et The Social Network comme pierres de touche pour vous inspirer et vous guider.

Ordinary People

Scénario d’Alvin Sargent, roman de Judith Guest.

Voici un résumé du film :

La mort accidentelle du fils aîné d’une famille aisée met à rude épreuve les relations entre la mère amère, le père qui essaye de bien faire et le fils cadet rongé par la culpabilité.

Ce « fils cadet rongé par la culpabilité » est Conrad [Timothy Hutton] et il souffre d’une grave culpabilité de survivant par suite de la noyade de son frère. Dans cette scène dramatique avec son thérapeute, le Dr Berger [Judd Hirsch], Conrad fait une percée sur ce qui s’est passé ce jour fatidique sur le lac :

Il s’agit de le montrer, ne racontez pas, car la catharsis que Conrad expérimente est d’autant plus puissante, tant pour lui que pour nous, en « voyant » ce dont il se souvient de la noyade de son frère.

Cela rappelle l’expérience de la catharsis de Clarice Starling dans The Silence of the Lambs, où elle se souvient des souvenirs épouvantables de l’abattage printanier des agneaux dans la ferme Montana de son oncle. Il est intéressant de noter que le réalisateur a choisi dans ce film de ne pas filmer ce flashback.

Dans cette interview, le scénariste Ted Tally explique pourquoi :

« Je savais que si nous devions avoir des flashbacks, ils devraient culminer, il devrait y avoir quelque chose de climatique, et nous devrions voir l’enfant Clarice devant le sacrifice des agneaux et essayer de sauver un de ces animaux. Jonathan était prêt à tourner ça, ce serait la dernière chose que nous allions tourner, car nous devions attendre la saison de l’agnelage au printemps, et cela allait coûter un million de dollars pour tout mettre en place. Puis Jonathan a tourné la scène où Clarice raconte à Lecter le meurtre des agneaux. Il m’a envoyé les rushs et m’a dit de les regarder et de l’appeler. Alors j’ai regardé ces performances, et elles étaient extraordinairement puissantes, et Jonathan m’a dit : « Comment puis-je réduire ces performances à un flashback ? Tout est là : elle nous raconte toute l’histoire en face, avec ses mots, on n’a pas besoin de la voir enfant en plus. » Il m’a dit que  la règle de base du cinéma est que si vous pouvez montrer au lieu de dire (Show don’t tell), montrez-le. Ça me faisait un peu peur, mais ne pas le montrer en flashback ici était juste, il avait raison. »

Il n’y a pas de règles d’écriture gravées dans le marbre. Si le procédé du flashback vous parait la meilleure façon de raconter une histoire en particulier, allez-y !

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.