William Goldman a dit : « Les scénarios sont des structures. » Mis à part les romans, les nouvelles, les romans graphiques ou les bandes dessinées, un scénario est une forme littéraire unique en son genre en ce sens qu’il s’agit d’un schéma directeur spécifique pour « construire » un film. Par conséquent, l’un des principes que j’enseigne aux étudiants est :

« Intrigue = Structure »

Quiconque a étudié la structure en 3 actes ou l’un des paradigmes du scénario avec l’aimable autorisation de Syd Field, John Truby ou d’autres gourous de l’écriture de scénario acceptera probablement ce principe. 

Je pense qu’il y a un principe concomitant concernant les personnages et les scénarios :

« Personnage = Fonction »

Si un scénario est une forme unique en tant que schéma directeur pour la création d’un film, je dirais qu’il est également unique en ce sens que les personnages créent ensemble une « carte » psychologique de l’histoire, chaque personnage jouant une fonction narrative essentielle. Ce qui nous amène au sujet des archétypes.

En termes simples, un archétype est un modèle de personnage ou de personnalité. En général, il est possible d’évaluer les personnages d’un scénario en  leur « assignant » un archétype.

Il y a littéralement des centaines d’archétypes dans les histoires et la littérature, mais je pense qu’il y a cinq archétypes de personnages primaires qui apparaissent dans la plupart des films :

PROTAGONISTE

NÉMÉSIS (ANTAGONISTE)

ATTRACTEUR (ROMANCE)

MENTOR (SAGESSE)

TRICKSTER

À première vue, on peut penser qu’il s’agit de catégories artificielles, mais je soutiens qu’elles sont le prolongement naturel du personnage central de l’histoire : le Protagoniste.

 

Comment ? En posant sept questions fondamentales directement liées au Protagoniste :

1/ Qui est le protagoniste de l’histoire ?

La première question, la plus fondamentale de toute histoire.

2/ Que veut le Protagoniste ?

C’est l’objectif du monde extérieur du protagoniste et il est lié au point final de l’intrigue.

3/ De quoi a besoin le Protagoniste ?

C’est l’objectif du monde intérieur du protagoniste et il est lié à son point final de transformation.

4/ Qui essaie d’éloigner le Protagoniste de son but ?

C’est la Némésis de l’histoire qui fonctionne en opposition au Protagoniste.

5/ Qui permet la croissance émotionnelle du Protagoniste ?

C’est l’Attracteur de l’histoire qui fonctionne en relation avec le « cœur » du Protagoniste.

6/ Qui permet la croissance intellectuelle du Protagoniste ?

C’est le Mentor de l’histoire qui fonctionne en relation avec la « tête » du Protagoniste.

7/ Qui teste le Protagoniste pour approfondir la transformation de son « cœur » et de sa « tête »?

C’est le Trickster de l’histoire qui fonctionne tantôt comme l’allié du Protagoniste, tantôt comme l’ennemi du Protagoniste.

 

Ces cinq archétypes sont les archétypes primaires de personnage, présents dans la plupart des films. Ils font partie intégrante de l’intrigue et du parcours psychologique du Protagoniste, ce que l’on a coutume d’appeler « l’arc transformationnel ».

Maintenant, il y a quelques mises en garde – non, tous les films n’utilisent pas tous ces archétypes de personnages – et des variations – au lieu de « tête », utiliser « cerveau gauche », au lieu du « cœur », utiliser « cerveau droit » par exemple.

Mais un simple coup d’œil à certains des films les plus populaires de tous les temps suggère qu’il y a quelque chose d’intéressant avec cette question des archétypes. Jugez par vous-mêmes :

LA VIE EST BELLE
PROTAGONISTE  – George Bailey
NÉMÉSIS  – Mr. Potter
ATTRACTEUR  – Mary Bailey
MENTOR  – L’ange Clarence
TRICKSTER –  Oncle Billy

WITNESS
PROTAGONISTE  – John Book
NÉMÉSIS – Chief Paul Schaeffer
ATTRACTEUR  - Rachel Lapp
MENTOR  – Eli Lapp
TRICKSTER  – Samuel Lapp

LE SILENCE DES AGNEAUX
PROTAGONISTE  – Clarice Starling
NÉMÉSIS  – Buffalo Bill
ATTRACTEUR  – Jack Crawford / Catherine Martin
MENTOR  – Hannibal Lecter
TRICKSTER  – Dr. Frederick Chilton

PIRATES DES CARAÏBES, LA MALÉDICTION DU BLACK PEARL
PROTAGONISTE  – Will Turner
NÉMÉSIS  – Barbossa
ATTRACTEUR  – Elizabeth Swann
MENTOR  – Pirate lore
TRICKSTER  – Jack Sparrow

Travailler avec ces archétypes peut donner lieu à des analyses cinématographiques très intéressantes. En voici une par exemple :

LES ARCHÉTYPES DANS JUNO

Scénario de Diablo Cody – Réalisation de Jason Reitman

Dans ce scénario, la PROTAGONISTE est Juno MacGuff.

L’ATTRACTEUR est Paulie Bleeker – cela semble très clair.

Je dirais que le TRICKSTER est Mark Loring (Jason Bateman), le gars apparemment « super cool » (pour Juno) qui est marié à Vanessa Loring (Jennifer Garner), mais qui s’avère être un sale type (au départ un « allié », il se révèle être un ennemi). C’est un bon usage d’un personnage de Trickster parce qu’il est directement lié au problème de Juno au début du film : elle est « trop cool » au début, trop accrochée à montrer une image « branchée » au monde, et elle doit surmonter ce moi biaisé (c’est pourquoi elle est à la fois attirée et rejetée par Paulie). Avec Mark Loring, elle apprend une dure leçon, contribuant pour elle à redéfinir son concept même de « cool ».

La fonction de MENTOR, je pense, est couverte en partie par Vanessa, qui est profondément et sincèrement en contact avec son moi émotionnel, représenté par son puissant désir d’avoir un enfant. Il y a ce grand moment dans le centre commercial, où Juno tombe sur Vanessa et où Vanessa se penche pour sentir le ventre de Juno enceinte. Ce moment très humain fait taire Juno (pour une fois) et elle se permet enfin de ressentir la véritable émotion pure venant de Vanessa. L’autre fonction de mentor est assurée par le bébé qui grandit à l’intérieur de Juno, une force d’ancrage et de centrage qui tire Juno de sa tendance à vivre dans le monde hors sol des idées cool et la ramène sur « Terre ». Vanessa et le bébé apportent tous deux la « sagesse » à Juno, ce qui lui permet d’accepter sa personnalité « normale » d’adolescente et finalement d’accepter Paulie.

Et qui est la NÉMÉSIS? Revenons à ces questions clés des protagonistes. Que veut Juno ? Avoir une relation avec Paulie Bleeker. Et de quoi a-t-elle besoin ? Accepter qu’elle est une adolescente, pas une nana de 30 ans. Qu’est-ce qui se dresse sur son chemin, s’oppose à elle ? Son image d’elle-même « uber cool« , le personnage qu’elle a développé comme mécanisme d’adaptation pour contrôler, voire supprimer ses sentiments de « normalité ».

Vous voyez, on peut s’amuser avec les archétypes de personnages et l’analyse de scénario !

Ce post est un peu long et nous n’avons fait qu’effleurer la surface. Encore une fois, ce groupe d’archétypes peut ne pas fonctionner pour chaque histoire ou film, mais je pense que ces idées valent la peine d’être considérées, ne serait-ce parce qu’elles offrent une façon différente d’aborder le développement de l’histoire.

Par opposition à l’approche linéaire « traditionnelle » – structure en 3 actes et plots points – c’est une approche « verticale » et organique qui privilégie les personnages en se basant sur les archétypes pour approfondir l’histoire, ce qui permet à l’auteur de se plonger plus en profondeur dans sa création.

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.