Dans le monde réel, le déjeuner est un repas que les gens mangent pour nourrir leur corps et leur esprit afin d’avoir de l’énergie pour le reste de leur journée de travail. Dans le milieu du cinéma, le déjeuner n’a pratiquement rien à voir avec la nourriture… c’est même tout autre chose.

Que se passe-t-il lors d’un «  déjeuner rendez-vous » (lunch meeting) avec un producteur ou un responsable de studio? 

1/ Vous faites « copain-copain » : Vous commencez toujours par échanger quelques infos personnelles sur vos histoires respectives. En tant que scénariste, rappelez-vous ceci : quelle que soit votre histoire personnelle, la leur sera intrinsèquement plus intéressante. Astuce : googlisez votre partenaire de déjeuner. Orientez ensuite la conversation vers des points de discussion liés à leur histoire personnelle, accompagnés de vos commentaires surpris et appréciés.

2Vous « ragotez » un peu : Ce point est délicat. Vous ne voulez pas vraiment dire du mal des gens du milieu [enfoncer une mauvaise réputation], mais si votre partenaire de déjeuner veut laver son linge sale, vous devrez leur donner de la place pour qu’ils partagent un peu leurs récriminations [les gens de pouvoir adorent ça]. Phrases clés à prononcer : “Vraiment… Pas possible… Arrête…” Un point bonus si vous secouez la tête, élargissez les yeux et souriez.

3/ Vous vous tordez le cou (surtout à L.A., mais valable dans les cocktails professionnels en France ou au festival de Cannes) : Vous voyez quand les gens passent la plupart de leur temps dans une conversation à regarder ailleurs que vers vous ? Dans le milieu, cette dynamique est exacerbée par le fait que votre partenaire de déjeuner ne va pas détourner le regard pour une raison normale, du genre une déficience psychologique, mais plutôt parce qu’il vérifie ce qu’il se passe autour : Qui vient d’entrer ? Qui est parti ? Qui s’est levé ? Qui est allé aux toilettes pour hommes ? Qui est allé aux toilettes pour femmes ? Qui a traversé le lieu pour rendre visite à qui ? Sérieusement, il faut s’habituer à ce que la personne avec qui on discute passe au moins la moitié de son temps à se frotter les mains, en s’assurant de voir et d’être vu.

4/ Vous écoutez le menu du jour : Souvent servis par des hipsters tatoués ou de vieux serveurs pas toujours agréables. Leurs noms sont invariablement Nico ou Gérard, et les menus impliquent très souvent des produits healthy, des légumes étranges ou du gluten-free.

5/ Vous commandez votre plat : C’est peut-être la décision la plus compliquée que vous aurez à prendre. Il y a un mystérieux algorithme connu de quelques privilégiés, qui combine les personnes que vous rencontrez, l’endroit où vous vous rencontrez, le projet dont vous parlez, les choix de mode de vie, le genre de scénario dont vous parlez et l’image que vous essayez de transmettre. Par exemple, si vous déjeunez avec une executive filiforme pour évoquer un projet impliquant la sauvegarde l’environnement, il y a des chances que vous ne vouliez pas commander une entrecôte saignante. D’un autre côté, si le déjeuner est pris avec un producteur de film « de genre » bedonnant, barbu et en sueur, les gnocchis de betteraves crues ne seront peut-être pas le meilleur choix.

6/ Vous faites semblant d’envoyer un texto : Invariablement, votre partenaire aura oublié d’éteindre son téléphone, de sorte qu’il recevra au moins un appel, un courriel ou un message texte « Je suis désolé, mais je dois prendre cet appel ». Ne restez pas assis là à le regarder bêtement pendant qu’il s’occupe de ses affaires. Au lieu de cela, décrochez votre téléphone et faites semblant d’envoyer un SMS à quelqu’un, en secouant ou en hochant la tête pour obtenir un effet, et ceci même si vous ne faites que vérifier votre fil Twitter ou Facebook.

7/ En fait, vous ne mangez pas vraiment votre plat : Lorsque Nico ou Gérard dépose votre assiette, vous pouvez faire un petit commentaire sur la beauté de la composition. Le reste du déjeuner, vous passez votre temps à simplement picorer dedans. Vous ne mangez jamais plus de 50% de ce qu’il y a dans votre assiette, et surtout vous ne la finissez pas. C’est tout à fait dégoûtant dans un milieu où l’apparence est survalorisée et où les calories sont considérées comme toxiques.

8/ Vous n’offrez jamais de payer pour le déjeuner : Si vous rencontrez un directeur de studio ou un producteur, vous supposez qu’ils sont là pour établir une relation avec vous le scénariste, et non l’inverse. Ainsi, lorsque la facture arrive, vous gardez le regard bien rivé sur leur visage – même s’ils se frottent les mains – et vous attendez qu’ils glissent la facture sur leur côté de la table. Quand vous vous levez pour partir, c’est là que vous les remerciez pour le déjeuner.

9/ Vous appelez votre agent : Faites-leur un compte-rendu détaillé. Ils feront un suivi en téléphonant à votre partenaire de déjeuner. Avec un peu de chance, vous serez invité à une réunion officielle sur le projet en question. Et une fois qu’ils auront signé avec vous, devinez quoi ? C’est l’heure d’un autre déjeuner.

Et vous recommencez tout le rituel.

Bien sûr, vous vous demandez : « Et les affaires concrètes pendant ce rendez-vous déjeuner ? » Ah oui, c’est vrai. Ça.

S’il s’agit d’une “première rencontre” (meet-and-greet meeting), vous essayez simplement d’être le plus présentable qui soit. Fondamentalement, ils vous évaluent pour voir s’ils peuvent établir un lien avec vous, s’ils peuvent imaginer travailler avec vous pendant des mois sur un projet.

S’il s’agit d’un projet précis, les conversations sont toujours de nature « exploratoire ». En fait, on ne présente quasi jamais un projet en profondeur à un déjeuner. Oui, il y a des moments où une chose menant à une autre, on se retrouve à parler d’un autre projet, ou vous évoquez quelque chose sur lequel vous travaillez, et soudain vous vous retrouvez dans une sorte de réunion de travail improvisée à élaborer un pitch ou un début d’histoire.

Mais attention : si vous êtes là ostensiblement pour discuter du projet A et que vous passez subitement à un projet B, cela n’aide probablement pas vos chances sur le premier projet. Les producteurs et les directeurs de studio sont bien connus pour être très occupés et, en général, ils passent leur temps à résoudre des problèmes. S’ils vous voient, c’est qu’ils cherchent à vous intégrer à une place en tant que scénariste dans leurs projets. Si vous commencez à parler d’un autre projet, votre partenaire de déjeuner peut totalement perdre de vue la place à laquelle il pensait à vous en premier lieu.

En règle générale, chaque fois que vous rencontrez un producteur ou un directeur de studio, c’est toujours une bonne chose de se rappeler ce mantra : « Dieu vous a donné une bouche et deux oreilles pour une raison ». On reviendra là-dessus dans un prochain conseil !

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.