Quelle que soit la manière dont on y fait référence, c’est la manière de fonctionner d’Hollywood. (NdT : la situation en France n’est pas très éloignée pour les films de marché).

Suites. Prequels. Remakes. Reboots. Adaptations. Pourquoi les studios choisissent-ils de suivre cette voie apparemment peu créative qui consiste à exploiter un contenu déjà familier? Pourquoi ne pas développer des projets courageux, pleins d’idées fraîches et d’histoires novatrices?

En fait, cela irait radicalement contre le fonctionnement actuel du marché, déterminé par un mantra qu’on pourrait résumer ainsi : ce qu’ils ont tendance à acheter, développer et produire sont des projets qui sont toujours similaires mais différents. À nouveau, la question se pose : pourquoi ? Il y a plusieurs raisons à cela. Voici les deux principales :

L’importance croissante du marketing.

Après l’acquisition d’un projet, d’années de réécriture, l’adjonction et le départ de talents, de batailles concernant le budget, de mois de pré-production, de production et de post-production, plus rien n’a d’importance du moment que les studios puissent vendre le film.

Et dans un monde toujours plus bruyant où les spectateurs “consommateurs” sont bombardés par les annonceurs de tous les côtés, la mission du studio qui est de faire passer le message qu’un film est sorti devient de plus en plus difficile.

Si un concept de film ou son histoire a quelque chose de familier qui résonne, alors la théorie marketing dit qu’il sera plus à même de connecter avec les consommateurs. Et si un consommateur se souvient d’un aspect de la campagne publicitaire, les chances qu’il se bouge pour se rendre au multiplexe et acheter son billet de ciné augmentent exponentiellement.

Pensez aux courses de stock-car. Un compétiteur peut se positionner juste derrière le leader et, en se glissant dans le courant, bénéficier d’une résistance à l’air réduite. De la même manière, si un studio peut glisser son film derrière une propriété préexistante (comme par exemple un autre film, une série, un livre, une BD), il subira beaucoup moins les aléas du marché car les clients auront déjà une certaine connaissance de la franchise. D’où la valeur du similaire. 

La valeur du différent, d’autre part, est évidente : toute histoire ne peut être exactement la même que celle qui préexiste, elle doit être réinterprétée suffisamment pour que le consommateur pense qu’il regarde quelque chose de… différent.

D’un point de vue purement marketing, le « similaire mais différent » permet de vendre un film d’une manière plus simple et efficace. C’est la première raison.

L’autre raison réside au cœur du process de décision des studios (pour ce qui concerne les deals de cinéma) :

La peur de faire une erreur.

Les « executives » des studios ont peur de s’engager sur des projets car si l’un des films auquel ils sont associés se plante, ça ne présage rien de bon pour leur carrière. C’est particulièrement vrai dans le climat actuel où les principaux studios hollywoodiens font tous partie de puissants conglomérats, pour lesquels tout revient à devoir faire du profit.

Les flops ont de sérieuses conséquences.

En 1980, le western épique Heaven’s Gate (La Porte du Paradis), sujet à des dépassements de budget massifs, met le studio United Artists en faillite. En 1987, la comédie Ishtar fut une telle plantade qu’elle mena Coca-Cola à revendre Columbia Pictures à Sony.

Et la peur de ces « executives » n’est pas seulement basée sur la perspective d’avoir greenlighté (mis en production) un projet qui se plante ; ils angoissent aussi à l’idée d’avoir laissé passer un projet qui se serait révélé être un grand succès, comme ce fut le cas pour la saga des Twilight dont Paramount avait les droits mais les a finalement laissés à Summit Entertainment. C’est près de 3 milliards de $ de box-office (pour l’ensemble de la franchise) que Paramount a perdus de dividendes, car leurs « executives » avaient décidé de laisser partir le projet.

Les gros budgets, c’est la pression s’ils disent oui et que le film se plante. C’est la pression s’ils disent non et que le film marche, fait par un autre studio. Tout cela s’explique par le climat de peur. Et pour une autre raison, pour laquelle la règle du « similaire mais différent » fait loi à Hollywood : si un studio greenlight un projet sur – par exemple – un body swap (échange de corps), similaire mais différent d’un projet qui fut un succès, et que le film se plante, l’excuse est toute trouvée : « Hé mais ce film sur un body swap était un succès ! »

Voilà à mon avis pourquoi Hollywood sort autant de suites, de remakes et d’adaptations ciné de séries TV.

Même lorsqu’ils se plantent (Comme chiens et chats 2, L’Agence tous risques…), les executives des studios s’en défendent car ces films sont tout autant, sinon plus, basés sur l’idée du « similaire mais différent » que les succès que l’on connaît (Iron Man 2, Karate Kid, Star Trek).

Cette idée du « similaire mais différent » ne se réduit pas aux films basés sur un contenu préexistant. Elle vient aussi jouer sur le marché du « on spec » (scénario original développé par un scénariste sans producteur) et du pitch.

Et c’est là où cela peut tourner en faveur des scénaristes.

Premièrement, personne à Hollywood n’attend qu’un auteur ne leur arrive avec un concept ou une histoire parfaitement fraiche et novatrice. D’abord parce que, comme nous l’avons vu, le marché ne veut pas de ce genre de chose, car c’est trop risqué, pas assez similaire à quelque chose déjà existant. L’autre raison est celle-ci : il n’y a pas d’idée tout à fait neuve.

Les plus grands auteurs littéraires le savent :

« Les auteurs ont certains sujets sur lesquels ils écrivent encore et toujours. La plupart des livres écrits ne sont que des variations sur quelques thématiques récurrentes. »

Christopher Isherwood

« Je pense qu’on ne fait qu’écrire et réécrire le même livre. Je dirige un personnage d’un livre à un autre, et je poursuis avec les mêmes idées. Seule la perspective, la méthode, l’éclairage changent. »

Truman Capote

« En vérité, la plupart du temps, nous, les auteurs, devons nous répéter. »

F. Scott Fitzgerald

Ainsi le poids de créer une histoire inédite, inconnue et encore vierge, nous est enlevé des épaules.

Deuxièmement, le fait que tout le monde sait qu’il n’y a rien de complètement nouveau sous le soleil, et que les bureaucrates dans les studios ne réfléchissent qu’en terme de « similaire mais différent », a permis d’aboutir à une chose :

Nous pouvons “recycler” les idées.

J’ai écrit une série de posts appelés « Movie Story Types »  archivés sur Go Into The Story, qui présentent des types d’histoires comme “Revenge”, “Body switch”, “Course poursuite” ou “Biopic”.

Vous cherchez un concept pour votre histoire ? Il n’y a aucune raison de ne pas vous autoriser à creuser dans l’un de ces “types”, y trouver quelques films comme modèles et les tordre d’une manière unique. Modifier le sexe des personnages, le genre, le lieu… Mélangez et trouvez une nouvelle combinaison !

Et si vous pensez que cela revient à tricher, détrompez-vous !

Regardez dans la colonne de droite ce film muet de 1903, The Great Train Robbery par Edwin Porter.

Voyez ensuite celui d’Edison en dessous, The Little Train Robbery en 1905.

Hollywood recyclait déjà les histoires bien avant d’avoir existé !

C’est l’occasion de ressortir l’une de mes anecdotes favorites. Le grand compositeur américain Woody Guthrie a prétendument écrit plus de 4000 chansons. On lui a demandé comment il avait fait pour créer autant de chansons. Sa réponse : « Eh bien, je prends une mélodie que j’aime, je change un truc ou deux et je la fais mienne. »

« Je la fais mienne. »

C’est ce que l’on peut faire en réutilisant la base d’une histoire : changez-la d’une certaine manière, creusez vos personnages pour faire ressortir ce qui les rend uniques, et faites vôtre l’histoire.

Gravity, c’est Apollo 13… mais différent.

Prisoners, c’est Seven… mais différent.

Last Vegas, c’est Very Bad Trip… mais différent.

Vous voyez ce que j’ai fait dans ce conseil n°15 ?

J’ai commencé par explorer cette réalité déprimante qu’est apparemment cette théorie du « similaire mais différent », examiné pourquoi l’esprit du marché est si verrouillé qu’il en a l’air, découvert un aspect positif pour les auteurs, puis dégagé un chemin de traverse pour nous permettre de travailler dans ses limites, tout en explorant sa propre créativité afin de garder sa voix unique. Ou quelque chose dans le genre…

Quoiqu’il en soit, la théorie du “similaire mais différent” est là et ce n’est pas près de changer. C’est une donnée à prendre en compte quand on écrit pour un marché.

Nous scénaristes pouvons la combattre, la condamner ou l’embrasser.

Le choix est le vôtre.

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.